You are currently browsing the monthly archive for Mai 2006.

« Images publiques » est comme un calque artistique sur le plan directeur des nombreux chantiers de l’hyper-centre liégeois. La ville se cherche de nouvelles pulsations ; les artistes invités par Laurent Jacob, réagissent et réfléchissent le langage visuel urbain. C’est tout l’été ; et c’est la première édition d’une triennale liégeoise d’art public.

 

Laurent Jacob, directeur d’Espace 251 Nord et commissaire de cette exposition n’a pas choisi la voie la plus facile afin de répondre à la demande du pouvoir provincial d’organiser une manifestation d’art contemporain dans le tissu urbain de la cité ardente. Sa volonté a d’emblée été d’éviter le point de vue d’une simple ponctuation temporaire de l’espace public par une série d’intervention artistiques estivales. Et dès le départ de renverser la situation, comme, au Cadran, Michel François renverse la ville, celle de Mexico en l’occurrence, mais ce pourrait être celle de Liège, dans une perspective aussi efficace que judicieuse, nous laissant tête en l’air et tête en bas à la fois, au sommet du looping. L’image aérienne est monumentale, tissu urbain flottant, un effet d’annonce aux portes du centre ville, point névralgique du trafic, du propos, du projet, donnant à celui-ci sa dimension artistique et politique. Et à cette annonce en répond une autre, également signée Michel François, installée place du Marché entre Perron et Hôtel de Ville, image publique et performance participative, extrait du « Speaker’s corner project » de l’artiste. Un bloc de glace est installé en guise de tribune, invitation à chacun de s’y percher et d’y prendre la parole. Il y a urgence donc car les mots n’attendront pas le lendemain, précise l’affiche éditée par l’artiste, risque de pirouette garanti, miroir de la glace : s’il s’agit de renverser les situations, il s’agira aussi de prendre le risque d’en parler et d’échanger sans attendre, de discourir et d’initier un débat public, sur l’art, sur la ville, sur la chose publique et son image.

Un vaste chantier

Premier retournement de situation, « Images publiques » ne s’est pas d’abord fondé sur un rapport à l’art, mais bien premièrement sur un rapport à la ville, à ses polarisations, ses lancinances, ses pulsations, ses mutations, ses problématiques. La ville de Liège, au cœur de l’Euregio Rhin-Meuse est en pleine mutation et cherche de nouvelles pistes à son redéploiement économique, jouant la carte d’une ville plus tertiaire tout en consolidant et réorientant les entreprises existantes, visant des activités basées sur la logistique, le transport et les transhumances, les hautes technologies, l’accueil et la valorisation patrimoniale qui va de pair. Ces perspectives font de Liège un vaste chantier dont l’image polarisante est aujourd’hui sans conteste la future gare des Guillemins, projet confié à l’architecte espagnol Santiago Calatrava, auteur des gares de Lisbonne et de Zurich, du cinéma sphérique de Valence, de la tour Montjuic de Barcelone ou du stade olympique d’Athènes. Mais cette surprenante construction qui épouse la colline de Cointe et qui transformera tout un quartier de la ville n’est de loin pas le seul projet urbanistique en cours. “Images publiques” pointe une série de chantiers du centre-ville, îlot saint Michel, place Saint-Étienne, extension du palais de Justice et gare de Liège-palais, de lieux en déshérence, du Cadran au Tivoli, de projets publics ou privés, rénovations de l’ancien siège du Journal La Meuse, des bains de la Sauvenière, d’hôtels particuliers, tout ceci doublé d’un programme culturel important, du Grand Curtius, futur mégamusée, au bâtiment de “l’Emulation” confié à Pierre Hebbelinck afin d’y transférer le théâtre de la Place, de la rénovation imminente de l’Opéra à la construction d’un futur complexe de cinéma indépendant de la grande distribution filmique, initié par les Grignoux. C’est donc d’abord une sorte d’état des lieux qui est dressé, un état des lieux en plein questionnement, des hypothèses de nouveaux maillages urbains, de fonctions et symboles redéfinis ou en manque d’identification.
En fait ce sont les chantiers de la ville qu’ « images publiques » propose d’abord aux visiteurs, comme l’a fait Laurent Jacob aux artistes, leur proposant de réfléchir ces diverses problématiques, ces nœuds névralgiques. La méthode consiste donc à superposer deux calques sur un plan directeur et à se demander pourquoi faire image avant de se poser la question du comment. « Images publique » prend le parti de réfléchir le lieu d’intégration de l’œuvre d’art plutôt que d’envisager l’adéquation d’un site à une œuvre existante, et ceci suivant un protocole défini, consistant à rivaliser avec les images que véhiculent la ville à l’aide des mêmes outils, du même langage. Toutes les interventions, en effet, utilisent le même langage urbain, celui des bâches et billboards, de la signalétique et des bornes interactives, du collage et de l’affichage, du sticker ou de la peinture murale, du calicot à la pièce sonore, posant par là, à tous les niveaux la question de l’image urbaine, la question de l’image publique. Le point de vue est pertinent, original et participe ainsi à redéfinir la notion même de ce qu’on nomme « art public », trop souvent encore de nos jours appréhendé par le politique comme un simple pot de fleur qui exalte la vie ou comme objet de consumérisme touristico-culturel. Comme elle permet, aussi, de mieux appréhender le langage visuel urbain. Intéressant, par exemple, de voir les ombres noires de Michel Couturier rivaliser avec les tags sauvages ou l’affichage publicitaire dans des lieux de déshérence. Ses ombres de passants, inspirées des ombres d’Hiroshima, pointent le vide urbain, la friche, la saignée ou la mémoire lorsqu’elles animent les façades classées ou les remparts de la citadelle. Exemplaire est la contribution de Marcel Berlanger : sa bâche peinte, un portrait d’une Cécile de France criblée de ciel est parfaitement ambigu, flottant sous la verrière d’une galerie commerciale, lieu essentiellement dédié à la mode, à la grande distribution.

Lire la cité

Ce rapport à l’identification, à la fonction, à la lecture de la cité est une constante dans les interventions proposées. Nicolas Kozakis impose une monumentale et inaccessible tache noire à la tour de la cité administrative de la ville, comme une tache de Rorchat, ou un tatoo géant, ou un plan de ville. L’image provient en fait d’une icône orthodoxe, champ d’investigation privilégié de l’artiste, et représente le plan de la grotte de la Nativité. Il est vrai que c’est en cette tour que se dénombrent naissances et décès dans la cité. Pascale Marthine Tayou, quant à lui, fait flotter ses drapeaux sur la façade de l’hôtel de Ville, interrogeant par là la multiculturalité de la cité. L’hyper centre liégeois est devenu troisième pôle belge de commerce et de distribution, après la rue Neuve bruxelloise et le Meir anversois : les bannières de Gyuri Mascai à l’entrée de l’îlot St Michel ou, surtout l’intervention d’Emilio Lopez-Menchero s’y réfèrent. Lopez-Menchero pose comme une bouche son calicot « certains l’aiment chaud » sur la bouche du tunnel de la gare routière de la place St Lambert, slogan séducteur, cinématographique, collectif donc, inattendu et énigmatique, comme s’il était sexy de consommer, tandis que la ville se veut attrayante. Frisson garanti pour le chaland qui passera par-dessus les bouches d’aération au sol de la place Saint-Lambert d’où surgit la voix chaude et sensuelle de Marilyne. Poo poo bee doo. Isabelle Arthuis et Marin Kasimir s’en prennent quant à eux à l’image patrimoniale par excellence, les façades ou colonnades du palais des Princes-Evêques. La première rythme la façade néo-gothique de l’édifice, comme en triptyques, d’images du monde et d’extraits de la chute des anges rebelles de Breughel. Le second enroule littéralement ses panoramiques à 360 degrés autour des colonnes de la cour du palais, anamorphoses carnavalesques et bestiaire humain de l’étrange répondant aux décors de l’architecture, comme un Eloge de la folie contemporain d’Erhard de la Marck d’ailleurs, grand bâtisseur du palais. Échelle et distances historiques. On pourrait poursuivre l’analyse œuvre par œuvre. Notons toutefois les participations de Guilaume Bijl et de Jef Geys qui abordent tous les deux
les valeurs d’échanges sociopolitiques. Si le premier vante ave ironie la culture touristico-populaire flamande, par une fête breughelienne et le renvoi à une imaginaire adresse Internet, affichage voisinant le comptoir touristique du pays de Liège, le second, avec l’efficacité qu’on lui connaît, installe une « Ambassade van Vlanderen » derrière l’austère façade d’un restaurant à la mode.
De Kendell Geers, à Johan Muyle, de François Curlet à Christophe Terlinden, ils sont plus d’une vingtaine à occuper la ville, mais seront rejoints par d’autres au fil de l’été. Le projet est en processus, évolutif, prévoyant d’autres œuvres qui se glisseront dans le dispositif mis en place, entre autres, un journal mural qui rassemblera un bon nombre d’associations, journal initié par Oliviero Toscani.

 

Jusqu’au 17 septembre. Informations : http://www.e2n.be
Dépliants à la maison du tourisme, place Saint Lambert

les images : Marcel Berlanger, Cécile de France – Emilio Lopez-Menchero, Certains l’aiment chaud

paru dans H.ART juin 2006

Ce sont quatre typologies des années 60 et 70 qui constituent l’exposition que consacre le musée des arts contemporains à l’œuvre des photographes Bernd et Hilla Becher, chefs de file du courant documentaire allemand. Évocation de ces sculptures anonymes et de ces typologies anciennes en compagnie de la commissaire de l’exposition, Manette Repriels.

Manette Repriels, ont le sait, a défendu l’œuvre de Bernd et Hilla Becher avec une foi peu commune. La rencontre de Sonnabend qui montrait leurs travaux depuis 1972 à New York, celle de Konrad Fischer à Düsseldorf qui la mit en relation avec le couple d’artistes, celle enfin – tout à fait par hasard – d’Hilla Becher un matin dans un compartiment de train entre Liège et Paris, tout cela concourût à une longue aventure commune qui trouve aujourd’hui un bel aboutissement en cette exposition qu’organise le Mac’s, musées des arts contemporains au Grand Hornu, comme le retour aux sources d’un parcours tant personnel que professionnel dont la directrice de la galerie Vega parle avec chaleur. « En fait, c’était une chance, rappelle-t-elle, que de pouvoir tenir le parapluie pendant une longue séance de prise de vue sous la pluie… Ou de pouvoir leur signaler l’existence d’un château d’eau, d’une belle-fleur qu’ils n’avaient pas répertorié… Les Becher circulaient dans une camionnette rouge, échelles sur le toit ; ils y dormaient, y mangeaient. On est loin d’une image mythique… Je les ai vus avoir une patience infinie durant les prises de vue, attendre la juste lumière, chercher l’angle le plus adéquat ainsi que leur découragement parfois lorsqu’ils ne rencontraient pas ces strictes conditions nécessaires à leur projet… Écouter Bernd parler de ses étudiants de la Kunstakademie de Düsseldorf, à l’époque Candida Höfer, Thomas Ruff, Thomas Struth, Andreas Gursky, -ce dernier était un vrai séducteur- était un vrai régal… » Les anecdotes que livre Manette Repriels sont nombreuses, illustrant tant des aspects fort quotidiens que la scène la plus progressiste de l’art durant les années 70 ; elles témoignent d’un indéfectible attachement tant aux Becher qu’à leur œuvre,
L’actuelle exposition regroupe des œuvres que Manette Repriels montra dès 1981 non en sa galerie, mais en l’église Saint André à Liège, sous le titre de « patrimoine industriel », un remarquable ensemble que Bern et Hilla Becher avaient exposé quatre ans auparavant à la quatorzième biennale de Sao Paulo en 1977 dans « Typologien industrieller Bauten 1963-1975 ». Cette série de 162 panneaux de neuf photographies chacun qui ne pouvait qu’intéresser Laurent Busine qui insiste tant sur l’aspect fondateur de ces séries que sur le fait qu’elles sont témoignages précieux d’espaces et de paysages disparus, que ces typologies de l’architecture industrielle du XXe siècle documentent un paysage en mutation et finalement transformé. Une double raison de les exposer, tant par rapport au site que le musée occupe et avec lequel ces séries de photographies dialogueront de façon quasi familière que par la mémoire d’architectures qu’elles véhiculent, deux thématiques priviégiées dans l’approche artistique que mène le musée.
Wassertürme (châteaux d’eaux), Gasbehälter (gazomètres), Kühltürme (tours de refroidissement) et Fördertürm (puits de mine) constituent quatre typologies singulières de bâtiments industriels, présentées et classées en planches de neuf clichés chacune, rigoureusement identiques, suivant un protocole strict neutralisant l’objet photographié, excluant tout élément spontané, ce qui permet de discerner mieux encore les caractéristiques fondamentales de chaque bâti. Et ce sont là quatre typologies parmi les plus essentielles dans leur œuvre, parmi les premières que le couple de photographes a abordées.
Immuable dispositif, démarche sans cesse répétée, adoption du même point de vue sur l’objet, ciels saisis dans la plus grande neutralité possible, grande profondeur de champs obtenue par l’utilisation d’un film peu sensible, nécessitant de longs temps de pose, c’est là déjà que se trouvent les fondements de ce qui transcende l’aspect encyclopédique et documentaire de cet oeuvre monumental (16.000 clichés aujourd’hui). Ce sont ces invariants qui permettent finalement de s’en dégager tant ils sont paradoxalement présents, qui rédiment l’aspect rébarbatif de ces architectures d’ingénieurs qui semblent conçues sans souci ou intention esthétique. Elles sont sous l’oeil des Becher, comme autant de “sculptures anonymes”, pour reprendre le titre de leur premier ouvrage, attitude qui leur valut en 1991 d’obtenir le lion d’or de … sculpture à la biennale de Venise et non un prix de photographie. Bernd et Hilla Becher déclarent que ces châteaux d’eau, ces silos à charbon, ces chevalements de mines sont comme “des anatomies comparatives appliqués aux vestiges industriels, inspirées de l’esprit de classification encyclopédique”. Humilité de leur part, alors qu’ils produisent une oeuvre conceptuelle opiniâtre, parfaitement aboutie, image de l’activité humaine, paysages en deshérence, oeuvre que d’aucuns ont perçue comme profondemment mélancolique mais qui sondent la complexité du réel, un seul tableau qui finit par exister en tant qu’image, en tant qu’abstraction. Nous proposant de vertigineux allers-retours, dès le moment où l’on considère chaque detail et l’ensemble de l’oeuvre.

Au Grand Hornu, musée des Arts contemporains, Bernd et Hilla Becher : Typologies anciennes, jusqu’au 3 septembre. Concuremment, le musée consacre une exposition à F.Masereel : Route des homes.

image: Bernd et Hilla Becher Fördertürm

paru dans H.ART, juin 2006

A propos d’une exposition d’Olivier Foulon

1. Curieux et perroquets

Pousser la porte d’une galerie d’art peut se faire par curiosité. Le faire dans le cas précis de cette exposition d’Olivier Foulon, « redites et ratures (vieux vin, nouvelle bouteille) », c’est se retrouver face à une porte et des curieux. Le dessin que l’on découvre face à soi en entrant dans la galerie, intitulé « Les Curieux », est une copie surdimensionnée et à l’encre de chine d’une œuvre de Leonaert Bramer, conservée dans la collection de la Kunstakademie de Düsseldorf déposée au Museum Kunst Palast. Il représente une façade de maison et sa porte en bois, percée en son centre d’un trou circulaire aussi singulier qu’inattendu, non pas un judas, mais un trou tout rond bordé d’un motif décoratif. De part et d’autre de cet orifice, des curieux se pressent. Que regardent-ils ? Nous n’en savons rien. Seule information à notre disposition : Olivier Foulon le nomme aussi « Les Curieux ».Leonaert Bramer fut actif à Delft durant la première moitié du 17e siècle. On s’y occupe beaucoup à l’époque de peinture, de géographie et d’optique. C’est à Delft que Samuel Van Hoogstraten conçoit ses « boîtes optiques », peintes à l’intérieur et à l’extérieur et dans lesquelles le regard pénètre par un œilleton, découvrant une scène à la parfaite illusion tridimensionnelle. La littérature spécialisée nous apprend que ce dessin de Bramer pourrait être une maquette, un projet, pour la face extérieure de l’une de ces boîtes optiques, ces peepshow boxes comme on les nomme de façon plus piquante en anglais. Le format du dessin original correspond à l’objet ; l’irréalité de cet œilleton central pourrait acquérir une utilité bien réelle dès le dessin transposé sur la façade d’une boîte optique.
Difficile, dès le moment où l’on pratique l’association d’idée et qu’on l’applique au domaine de la modernité de ne pas se référer à cette autre porte de bois, percée par deux trous cette fois, enchâssée dans des montants de briques rouges : « Etant donné 1° la chute d’eau 2° l’éclairage au gaz », de Marcel Duchamp, œuvre posthume et quasi testamentaire installée en 1969 au musée de Philadelphie. Le spectateur peut y voir par les deux petits trous aménagés à hauteur d’homme une scène d’un réalisme sidérant : un trou de verdure et une femme qui gît nue, cuisses écartées, sexe épilé étrangement fendu, bras dressé et main tenant avec fermeté une veilleuse à gaz allumée. Le fond du diorama en trompe l’oeil évoque les arrière-plans des peintures de la Renaissance. Depuis cinquante ans, « Etant donné » suscite glose, mystère, interprétations diverses sur ce que nous voyons par l’œilleton duchampien tandis que nous ne saurons jamais ce que regardent les curieux et voyeurs de Bramer, tandis que nous-mêmes sommes devant cette copie actuelle surdimensionnée d’un dessin ancien, nous interrogeant sur son sens, son iconographie et les raisons qui poussent Olivier Foulon à redire ce dessin qu’il a découvert. Détail piquant, ce n’est pas l’espion agenouillé devant l’œilleton au centre du dessin –car il s’agit bien d’un espion comme en atteste l’histoire de la mode vestimentaire du 17e siècle – qui nous apprendra quoi que ce soit à ce sujet.

Posé au sol à côté du dessin, un trente-trois tours de Louis Prima, roi du Swing (1910-1978). Sur la pochette, deux perroquets presque jumeaux. Olivier Foulon a adopté le vinyle et sa pochette. Il préfère parler d’images trouvées que de ready-made.Toujours dans cette même logique associative, on se souviendra de Marcel Broodthaers et de l’exposition qu’il intitula en 1974 « Ne dites pas que je ne l’ai pas dit ». Marcel Broodthaers y montrait un perroquet en cage flanqué de deux palmiers ainsi que dans une vitrine, deux catalogue de l’exposition « Moules, Œufs, Frites, Pots, Charbon » (1966) et deux rééditions de 1974 de ce même catalogue, cette fois sous le titre de « Moules, Œufs, Frites, Pots, Charbon, Perroquets ». Certains dispositifs qu’utilise Olivier Foulon ressemblent étrangement à cette mise en œuvre. En fond sonore de l’exposition, on entendait la voix de Marcel Broodhaers lire le poème « Moi je dis je dis moi je dis je… » qui figure d’ailleurs dans le catalogue. Les perroquets de Louis Prima et d’Olivier Foulon lancent quant à eux : « that’s us, man, that’s us ». Le perroquet est bien sûr une belle métaphore de la répétition. Et dans l’histoire de l’art il fut même objet de clin d’œil entre artistes. Faut-il rappeler les « femme au perroquet » de Gustave Courbet (1861) et de Edouard Manet (1866) ? Ou de ce texte de Louis Aragon à propos du cinéma de Jean-Luc Godard, où le poète dissertant sur l’identité d’une troisième « dame au perroquet », d’Eugène Delacroix cette fois, rappelle que dans le film « Pierrot le Fou », Belmondo joue également avec un perroquet. Aragon d’écrire : « Je ne dis tout ceci que pour montrer comment si je le voulais, moi aussi, je pourrais m’adonner au délire d’interprétation. Et d’ailleurs, n’est-ce pas là réponse à la question d’où j’étais parti ? L’art, c’est le délire d’interprétation de la vie ». Sachant qu’Olivier Foulon apprécie Godart, on rappellera ici que Belmondo, toujours dans « Pierrot le Fou », lit également les « Pieds Nickelés ». Il n’est pas impossible qu’Olivier Foulon, lecteur assidu des aventures de la bande à Louis Forton, fasse certaines redites par rapport à Godard. C’est épatant.
Les dispositifs d’Olivier Foulon sont comme des constellations d’images trouvées, puisées dans une iconothèque qu’il constitue et décline. Il élabore juxtapositions d’images, croisements de pensées, scénarios visuels elliptiques, partant d’images de l’histoire de l’art. En fait, devant ses propositions, nous nous demandons sans cesse ce que nous regardons. Des reproductions, ou des reproductions de reproductions qui se transforment en œuvres originales, des images qui posent des questions de regard, de récurrences de regard même, de répétitions de regard.

On pourrait ici faire le rapprochement avec un ensemble de petits dessins sur calques (1997) de Francis Alÿs, conservés au musée national d’art moderne à Paris, intitulés « El Soplon ». Ces esquisses sur calques, assemblées avec du papier adhésif, évoquent comme un projet de film d’animation, une saynette, un story board qui ne raconterait rien sinon l’histoire d’un personnage nommé El Soplon, ce qui veut dire souffleur, mouchard, indicateur en espagnol. El Soplon, flanqué d’un perroquet lui aussi, semble engager avec une marionnette un dialogue de ventriloque. Alÿs affirme, au crayon, sur le dessin central « ceci est une histoire » ; mais le récit reste parfaitement indéterminé. Sur le même mode de cette affirmation très magritienne, « ceci est une histoire », Olivier Foulon transforme ses redites en une aventure qui lui est totalement personnelle, une histoire qui pourrait ne pas en sembler une, une œuvre parfaitement autonome gérée par ses propres modes de fonctionnements.
Mais revenons-en à ce trente-trois tours aux perroquets. Ils nous renvoient à un autre vinyle, une œuvre d’Olivier Foulon qui paracheva sa récente résidence à Düsseldorf. Une redite, encore une. Olivier Foulon a réenregistré « Interview with a Cat / Ceci est une interview recueillie au Musée d’Art Moderne Département des Aigles, 12 Burgplatz Düsseldorf 1970 », confiant le rôle de Marcel Broodthaers à Suzanne Titz, prenant lui-même le rôle du chat, face A en français, face B en allemand. Sur le verso de la pochette, une petite photo anodine représentant le 12 Burgplatz, sur le recto, la reproduction photographique du dessin de Leonaert Bramer, le trou central dans le dessin placé à l’endroit où se fixe le disque vinyle sur le pick-up, comme une autre utilisation de ce trou afin de satisfaire sa curiosité en écoutant le disque.Le tour en quelque sorte est bouclé, entre deux expositions qui se répondent, entre une reproduction d’une reproduction mécanique et photographique et la même reproduction surdimensionnée, tracée à l’encre de chine sur le papier.

2. Chapeau l’artiste !

Trois projections de diapositives constituent l’aile droite de l’exposition. La première se nomme très simplement « chapeaux », la seconde « l’enseigne / la pipe » , la troisième enfin « couvertures ». Cette dernière rassemble 80 couvertures de livres, toutes ont trait à l’art, à la littérature, à la lecture critique, à l’analyse. Certaines de ces couvertures ne comportent que du texte, d’autres sont imagées. On se dit d’emblée que cette projection doit certainement faire état des préoccupations de l’artiste, de ses centres d’intérêts. Ainsi « Walter Benjamin, l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », diapositive qu’Olivier Foulon décide d’ailleurs de répéter deux fois, ou divers livres concernant Marcel Broodthaers, dont –il fallait presque s’y attendre- « la section littéraire du musée d’art moderne, département des aigles ». Il y a même des couvertures de publications qui le concernent directement : celle de son fascicule sur « L’enseigne de Gersaint », celle du catalogue de l’exposition « Cantos » à laquelle il participa.
Parmi ces couvertures défile « Marcel Broothaers, projecties », catalogue de l’exposition consacrée en 1992/93 par le Van Abbe museum d’Eindhoven aux projections diapositives de l’artiste. Et à consulter ledit dit catalogue, on apprend que Marcel Broodthaers concevait en 1972, à Düsseldorf une projection intitulée « Livres », suite de 29 couvertures de livres, catalogues d’expositions et livres sur l’art signés Walter Benjamin, Jean-François Lyotard, Lucy Lippard, Arnold Hauser, Theodor W. Adorno ainsi que deux diapositives du catalogue « Musée d’Art Moderne, Département des Aigles, Section des Figures.
On tient là la redite dont on subodorait bien sûr l’existence. Ou du moins une redite.
En fait, cette projection est peut-être moins elliptique qu’il n’y paraît à première vue. Si l’exposition était un livre, ou si l’ensemble des expositions d’Olivier Foulon était un corpus, cette projection pourrait faire office de notes infra paginales, voire d’index. Dans cette forme de rebus que pratique Olivier Foulon, « couvertures » contient bon nombre d’indices, de clés, des indications ou agit même comme une suite de légendes photos. Les associations qu’effectue Olivier Foulon peuvent, dans son système de réflexion, ce processus de pensée, sauter d’œuvre en œuvre, les éclairer les unes les autres, les citer, les compléter. Ainsi la succession d’un ensemble d’essais parus autour de « L’homme au loup », célèbre patient de Sigmund Freud. Certaines de ces couvertures de livres sont illustrées par les dessins de l’homme au loup qui depuis longtemps ont suscité l’intérêt d’Olivier Foulon, qu’il a redit à diverses reprises, dessins qui figurent dans une autre…. section, osons le terme, de l’exposition. Les diapositives sont ici comme le cartel d’autres œuvres. Ou comme le renvoi à d’autres images, telle celle de Sergei Pankejeff lui-même qui apparaît dans la projection « chapeaux ». Sauter ainsi d’image en image est un peu comme « un retour à la scène primitive », ce que fut la psychanalyse de Sergeï Pankejeff. Freud, rappelons-le, analyse le rêve comme un processus de condensation et de déplacement, sorte de rébus métaphorique et métonymique. C’est aussi sous cette forme que prolifère le système des images et des répétitions que pratique Olivier Foulon. Rien de plus normal dès lors que de retrouver Gertude Stein, André Caderé, Aby Warburg, Roland Barthes, Marcel Broodthaers ou Robert Walser tant chapeautés d’un côté qu’en couvertures de l’autre.

Les titres des œuvres sont également des indices. Ainsi « chapeaux », par exemple, qui légende cette succession d’images sans légendes. La projection est un mouvement de 80 chapeaux. Identifier les uns et les autres est question d’érudition ou de se référer à la liste des personnes représentées et chapeautées fournie par l’artiste. Le rebus, sur mode ludique, peut sembler aisé à résoudre : Chapeau l’artiste ! Chapeau Madame Stein, chapeau Monsieur Monet, chapeau Monsieur Broodthaers pour cet entretien avec René Magritte où justement vous parliez de chapeaux et de peinture, chapeau pour cet échange de chapeaux photographié par Madame Gilissen, chapeau Monsieur Carl Einstein pour vos écrits, chapeau pour votre « visite au Louvre », votre « Cézanne » Monsieur Straub, chapeau pour votre œuvre cinématographique. Chapeau Monsieur Courbet, pour votre « Rencontre » à l’image de la rencontre de tous ces artistes, écrivains, théoriciens qui défilent dans le carrousel de la projection. Chapeau Monsieur Foulon d’avoir glissé Aby Warburg chapeauté du masque d’un danseur katsina, ce qui nous rappelle que Warburg analysait déjà en 1893 la survivance des expressions gestuelles antiques chez Botticelli. Le salut et le port du chapeau en sont une. Chapeau encore car se pose ici la question de « la référence révérence », attitude qui aurait plutôt tendance à arrêter le mouvement alors que Warburg prône le savoir en extension, les relations associatives, les montages toujours renouvelés, fondant une histoire de l’art à l’ère de sa reproductibilité en mouvement. Chapeau, car le port de ce masque / couvre chef katsina témoigne, rappelle Georges Didi-Hubermann, que Warburg « avait compris que l’expérience de l’altérité (la rencontre) est nécessaire pour interpréter le familier, que la distance géographique (comme le fait d’aller à la rencontre des indiens Hopis) est une métaphore du passé – intime et personnel autant qu’historique et collectif – et le voyage une technique d’anamnèse ». Et nous voyageons entre toutes ces figures chapeautées, à leur rencontre, en pleine altérité, au gré de ce geste familier du port du chapeau, comme tous ont été à la rencontre des autres, nous demandant que faire du vertige de l’archive, voire du fatras de ce que génère l’érudition, nous demandant comment ne pas s’y perdre soi-même. Chapeau, car le projet « Mnémosyne », sorte d’histoire de l’art sans texte, que Warburg initia à la fin de sa vie était justement de substituer à la question de la transmission du savoir celle de son exposition, en organisant un réseau de tensions et d’anachronismes entre les images, ce qu’est la pratique, la méthode de cette exposition et de l’œuvre d’Olivier Foulon en général. Warburg sa vie durant a élaboré sa gigantesque bibliothèque comme un lieu où le chercheur ne se contente pas de conserver les témoignages du passé, mais les ressuscite à partir de la collection et de la mise en relation des textes et des images. « Couvertures », cette projection voisine, en est aussi l’image symbolique, celle d’un carrousel qui pourrait être infini, qui met la pensée en mouvement, qui ouvre et multiplie.

Et la pipe et l’enseigne ? Cette troisième projection fonctionne avec la précédente et y répond. À l’enseigne des Pieds Nickelés, à celle de la rencontre entre Magritte et Broodthaers, à l’enseigne de Clark le chemisier et de ses ready-mades à qui la bande à Croquignol fera le coup de la pipe, à l’enseigne de Gersaint qui n’était pas chemisier mais marchand de tableaux comme on le sait. Le carrousel de diapositives répète un épisode des aventures des Pieds Nickelés en quelques dessins, bouclés à chaque passage par des pages différentes de la publication qu’Olivier Foulon consacra au tableau de Watteau, l’Enseigne de Gersaint. Et Foulon pointe avec humour l’enseigne du chemisier Clark dévalisé par les Pieds Nickelés, enseigne qui annonce des produits ready-mades, comme il profite de cet involontaire clin d’œil de Forton à Magritte : ceci n’est pas un revolver mais une pipe, de même que les diapositives de l’Enseigne de Gersaint ne sont pas un tableau mais une suite de reproductions du tableau, chaque reproduction différente de la reproduction du précédent et a fortiori de l’original. Foulon redit ici, ou plutôt décline, une œuvre sur un tableau qui le maintient en éveil depuis longtemps et dont il a éprouvé même l’absence physique lorsque après l’avoir sondé de toutes les manières, il se rendit au Charlottenburg à Berlin afin de le découvrir à un moment où le tableau n’y était pas, pour cause d’entretien, d’analyse ou de restauration.

3. Ambiguïté

Trois vitrines constituent l’aile gauche de l’exposition, à l’image d’un dispositif muséal et fonctionnent, elles aussi, comme un rébus à déchiffrer. Dans la première, un livre ouvert sur la reproduction en noir et blanc d’un détail du « Sommeil » de Courbet, sujet emprunté aux gravures licencieuses et aux évocations littéraires de l’amour lesbien. À hauteur de regard des deux femmes enlacées, une carte postale : elle représente Hercule et Diomenes luttant, tête-bêche, Diomenes en fort mauvaise posture dans le combat, s’accrochant comme il peut… aux attributs virils d’Hercule. La sculpture est attribuée Vincenzo de Rossi. À gauche de ces deux images, un livre : « Fumée » de Djuna Barnes, égérie de l’homosexualité féminine. Dans la seconde vitrine, une seule reproduction photographique, concernant Gustave Courbet encore une fois. Le cliché représente l’entrée (ou la sortie) de « L’Atelier » de Gustave Courbet au château de Sourches où, dès 1939, le Louvre mit à l’abri une partie de ses chefs d’œuvres ainsi que diverses collections privées appartenant à des familles juives. Enfin, dans la troisième vitrine, un livre, catalogue de l’exposition « Courbet und Deutschland », Courbet et l’Allemagne, ouvert sur le chapitre concernant les relations suivies que le peintre entretient avec la photographie, lui qui la collectionne, s’en inspire, en particulier celle de Gustave Le Gray, s’adresse à de jeunes modèles qui posent aussi pour des photographes. En regard, Olivier Foulon place la reproduction numérique de la reproduction de l’image en vignette en tête de chapitre : « Courbet spricht mit sich selbst », Courbet parle à lui-même, un photomontage réalisé déjà en 1855, chez Durand et Cie à Paris.

Le dispositif est taxinomique, métaphore de toutes classifications, que l’artiste soutient d’ailleurs par les titres qu’il assigne aux trois vitrines : « sculpture » pour celle de Djuna Barnes, « Peinture » pour celle de Sourches, « photographie » pour celle de Courbet et la photographie, Courbet traversant d’ailleurs les trois vitrines. L’ensemble, une fois de plus déconcerte, mais déjà « Fumée », le titre du roman de Djuna Barnes permet de décrypter le sens elliptique d’un dispositif qui joue sur l’ambiguïté. À éprouver les titres, légendes, images, celle-ci s’impose de suite. Ambiguïté de la scène de lutte d’Hercule, sur fond d’une relation qui pourrait être saphique.Ambiguïté de la prise de vue à Souches où l’on se demande si le tableau, l’Atelier entre ou sort du château (va-t-on le montrer ? ou le cacher ?). ambiguïté et même ubiquité pour Courbet dédoublé par un procédé ancêtre du copier coller numérique, Gustave Courbet qui stigmatisa l’ambiguïté de relations que la peinture et la photographie purent entretenir. L’ensemble décline d’ailleurs des techniques de reproductibilité, tandis que, regardeur, nous sondons tout autant ce que ces reproductions nous apprennent sur elles-mêmes, comme ce qu’elles nous enseignent des œuvres qu’elles reproduisent. C’est le sens du travail de Foulon que d’éprouver l’image, l’original, la reproduction ; c’est ce qu’il propose au regardeur. Nous sommes invités en fonction de notre imagination, de la mémoire que nous avons des choses et de l’œuvre d’art en particulier, de ce qui nous est connu et de ce qui nous est exotique, de ce que nous reconnaissons et de ce qui nous bouleverse, à éprouver tant l’œuvre de Foulon que toutes les œuvres que ce travail véhicule.
4. Un carrousel de dessins
L’étage de la galerie est comme un mouvement de dessins, un carrousel dans l’espace. Une douzaine de grands dessins à l’encre de chine se suivent, comme en boucle. Seul « le rêve des loups » est isolé dans une petite pièce. À l’extérieur, visible par la fenêtre, un arbre. Tout comme dans la description du rêve d’enfance de l’homme aux loups.
C’est un dessin de Daniel Chodowiecki, peintre, graveur, illustrateur d’origine polonaise qui vécut à Berlin au 18e siècle qui ouvre la danse. La gravure originale s’appelle « Die Reise von Berlin nach Danzich » (1773) Olivier Foulon en utilisa sa reproduction format carte postale pour annoncer l’exposition qui conclut sa résidence à Düsseldorf, son voyage de Bruxelles à Düsseldorf en quelque sorte. Comme le propos de cette exposition-ci était justement de redire l’exposition de Düsseldorf et de l’amplifier, ce « friseur » portant perruques à bout de bras, était comme attendu. Des perruques sont des postiches qui cachent, mais celles-ci en l’occurrence ressembleraient étrangement à des perroquets, ou des aigles si l’on songe à certains désormais célèbres Départements développés entre autres à Düsseldorf.
Ce qui cache, ce qui se répète, ce qui se regarde ou se devine : l’ensemble des dessins évoque ces questions de sens et de regard. Ainsi en va-t-il de l’en-tête du papier à lettres de Léopold Sacher-Masoch, matrone masquée pantin en main, dont on se souviendra au passage que la construction de l’œuvre majeure, « La Vénus en fourrure » repose sur l’imaginaire onirique que développe le personnage principal du roman à la découverte d’une simple reproduction de la Vénus au Miroir du Titien. Le regard de la femme est masqué tandis qu’elle manipule son pantin, comme le regard – tout comme les autres sens – se retrouvent au centre des préoccupations de cette partie de colin-maillard en quatre dessins, dus à Karl Walser, peintre et illustrateur allemand de la fin du 18e siècle, pardon dus à Olivier Foulon. De répétition, il est également question avec cette marionnette qui rappelle le costume de Papageno l’oiseleur. Le dessin est de Paul Klee qui rappelons le, créa de nombreuses marionnettes pour son fils Felix et qui en 1928 déclarait, mettant en relation dans un aticle de la revue « Bauhaus » l’art du théâtre et la peinture : « On apprend à voir derrière les apparences, à saisir les choses à la racine. On apprend à reconnaître ce qui jaillit de l’invisible, à découvrir l’histoire précédant le visible. On apprend à creuser en profondeur, à mettre à nu, à argumenter, à analyser ». Faut-il pour autant faire le poirier dans une exposition de peinture ? La légende qui accompagne la caricature anonyme qui pourrait provenir d’une revue telle l’Assiette au beurre et dont Olivier Foulon choisit de répéter deux fois la gestuelle est claire à ce sujet : « Le plus difficile n’est pas de faire le tableau mais de savoir le regarder » (anonyme)

Les premières phrases de Walter Benjamin, dans son essai concernant l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique sont très simples. « Il est du principe de l’œuvre d’art d’avoir toujours été reproductible. Ce que les hommes avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire ». Et de développer : « Ainsi, la réplique fut pratiquée par les élèves dans l’apprentissage de l’art, par les maîtres pour la diffusion de leurs œuvres, enfin par des tiers par amour du gain. Par rapport à ces procédés, la reproduction technique, la reproduction technique représente quelque chose de nouveau, un phénomène qui se développe de façon intermittente au cours de l’histoire, par bonds successifs (…) mais avec une intensité croissante». Foulon reproduit, surdimensionne, retrace à l’encre de chine. En 2003, alors qu’il préparait « En coulisses parfois les artistes changent de costume, Actualités » Olivier Foulon écrivait ceci en réponse à une lettre que lui adressait Michel Assenmaker : « Ces dessins sont des notes. Des notes à prendre à la lettre. Ces lettres que l’on apprend à recopier une par une dans nos premières années d’école. On les forme une à une, en ligne, en série, ces ‘a’ sont à peu près les mêmes, ces ‘e’ aussi, ces ‘i’, … Il y a une figure et ce déplacement un peu plus à droite sur la ligne du cahier. Pour les notes que je fais et pratique, c’est bêtement pareil, rien de plus bête que celles-ci. Faire des notes. Voir et se promener l’un ou l’autre jour et se faire happer. L’oeil se retourne. J’étudie, je ferme un oeil, je couvre la moitié du tableau par ma main, les mains sont grandes dès qu’on les rapproche de l’oeil. Il y a aussi ces notes pour l’étude. Des notes qui permettent de saisir le penchement d’une tête ou la forme d’un R. (…) Ce sont des notes prises au vol. La note n’est pas faite pour le dessin, le dessin décalque. On est soudain du côté de la reproductibilité, c’est-à-dire d’une manière, d’une technique qui vise et tente de sa petite entreprise, un vieux défi posé en gravure comme en photographie, je dessine. C’est dans la déformation du regard, due au cul des bouteilles jetées en mer, que je dessine ces notes patiemment. »
Le regard et le cul de la bouteille jetée à la mer. Ciel, une dernière pièce qui éclaire le rebus de cette exposition, ou du moins son sous-titre : vieux vin, nouvelle bouteille.